LOI RELATIVE AU PACTE CIVIL DE SOLIDARITE
Les députés soussignés défèrent au Conseil constitutionnel la loi relative au pacte civil de solidarité, afin qu'il lui plaise de déclarer cette loi contraire à la Constitution, pour les motifs ci-dessous énoncés :
I. - La violation de la procédure parlementaire
Les conditions dans lesquelles la loi relative au pacte civil de solidarité a été adoptée portent atteinte aux principes fondamentaux de la procédure parlementaire. En l'espèce, la loi a été adoptée en violation des articles 91 (4o) et 84 (3o) du règlement de l'Assemblée nationale.
La proposition de la loi relative au pacte civil de solidarité, examinée dans les conditions de l'article 48, alinéa 3, de la Constitution, a été une première fois repoussée par le vote régulier, à la majorité des suffrages exprimés, d'une motion d'exception d'irrecevabilité le 9 octobre 1998. Au titre de l'article 91, alinéa 4, du règlement de l'Assemblée nationale, l'objet de l'exception d'irrecevabilité est « de faire reconnaître que le texte proposé est contraire à une ou plusieurs dispositions de la Constitution ». L'adoption de cette motion entraîne le rejet du texte à l'encontre duquel elle a été soulevée. Par ailleurs, l'article 84, alinéa 3, du règlement dispose que « les propositions repoussées par l'Assemblée nationale ne peuvent être reproduites avant un délai d'un an ». Or, la conférence des présidents de l'Assemblée nationale a inscrit à l'ordre du jour du mardi 3 novembre 1998 l'examen de la même proposition de loi, très légèrement modifiée, en violation des dispositions du règlement de l'Assemblée nationale.
Les règlements des Assemblées n'ont certes pas en eux-mêmes valeur constitutionnelle, de sorte que leur méconnaissance ne saurait avoir pour effet de rendre la procédure législative contraire à la Constitution (Conseil constitutionnel, 84-181 DC, Entreprises de presse, 10 et 11 octobre 1984). Le Conseil constitutionnel a cependant estimé, par la même décision, qu'une disposition réglementaire pouvait avoir valeur constitutionnelle si elle constituait le prolongement nécessaire d'une disposition de la Constitution (ce qui vaut pour les lois organiques, soumises au même contrôle de constitutionnalité systématique prévu à l'article 61, alinéa 1er, de la Constitution) ou qu'elle la reproduit.
En l'espèce, les articles précités du règlement peuvent être considérés comme le prolongement de l'article 34, alinéa 1er, de la Constitution qui dispose : « la loi est votée par le Parlement ». Par ailleurs, Michel Debré, président du comité d'élaboration de la Constitution du 5 octobre 1958, indiquait lui-même que « tout ce qui intéresse la procédure législative constitue des dispositions qui dépassent le caractère réglementaire au sens strict. Elles sont d'inspiration constitutionnelle, elles touchent au mécanisme des institutions ».
La violation de tels articles du règlement prive en effet les députés, représentants de la nation, du sens de leur vote, qui est l'essence même de leur compétence.
Sur la violation de l'article 91 (4o) du règlement :
L'objet de l'exception d'irrecevabilité est, au titre de l'article 91 (4o) du règlement de l'Assemblée nationale, de « faire reconnaître que le texte proposé est contraire à une ou plusieurs dispositions constitutionnelles ». Au titre du même article , l'adoption d'une telle motion entraîne le rejet du texte à l'encontre duquel elle a été soulevée.
Le vote de cette motion indique que l'Assemblée nationale constate que la proposition de loi est contraire à la Constitution ; l'exception d'irrecevabilité assure donc le respect de la Constitution. Or si, dans une décision no 86-218 du 18 novembre 1986, le Conseil constitutionnel avait examiné les conditions d'utilisation d'une procédure de question préalable au Sénat et en avait déduit qu'elles n'affectaient pas, au cas présent, la régularité de la procédure législative, cette décision ne pouvait qu'être due au fait que la motion de question préalable posait une question d'opportunité et non de constitutionnalité. Il appartient au Conseil constitutionnel, juge de la constitutionnalité des lois, de contrôler l'effectivité d'un tel vote sanctionnant la non-conformité à la Constitution.
Par l'application de l'article 91, alinéa 4, du règlement, l'autorité législative a donc pleinement exercé sa compétence, la procédure législative se trouvant définitivement arrêtée. La violation de cet article constitue donc une violation grave des compétences du Parlement.
Sur la violation de l'article 84, alinéa 3, du règlement :
L'article 84, alinéa 3, du règlement de l'Assemblée nationale énonce que « les propositions repoussées par l'Assemblée ne peuvent être reproduites avant un délai d'un an ». La proposition de loi relative au PACS ayant été repoussée par le vote d'une exception d'irrecevabilité, elle n'aurait pu être présentée avant le délai d'un an. Or, quelques semaines plus tard, la conférence des présidents a inscrit à l'ordre du jour une proposition de loi identique.
La proposition de loi avait en effet le même objet, le même titre, les mêmes dispositions contractuelles, fiscales et sociales, le même exposé des motifs. La proposition n'avait été modifiée que sur des points de détail, par ailleurs étrangers aux vices d'inconstitutionnalité constatés par l'Assemblée nationale : adjonction d'un article sur les fratries, ultérieurement retiré, modification du lieu d'enregistrement du PACS, regroupement d'articles .
En conséquence, la proposition de loi inscrite à l'ordre du jour du mardi 3 novembre 1998 était donc bien substantiellement la même que celle qui avait fait l'objet d'un rejet. Il y a donc eu violation caractérisée de l'article 84, alinéa 3, du règlement, qui constitue un véritable détournement de procédure au regard du contrôle de constitutionnalité.
Cette violation constitue en outre une violation de l'article 34 de la Constitution qui dispose que « la loi est votée par le Parlement ».
Il appartient au Conseil constitutionnel, compétent au titre de l'article 61 de la Constitution de contrôler la conformité des règlements à la Constitution, de dire si les décisions de la conférence des présidents inscrivant à l'ordre du jour cette proposition de loi sont bien conformes à l'article 34 de la Constitution.
L'inconstitutionnalité constatée par le vote de l'exception d'irrecevabilité était donc définitive et rendait irrecevable la poursuite du débat. Pour cette raison, la proposition de loi relative au pacte civil de solidarité doit être déclarée contraire à la Constitution.
II. - Sur l'incompétence négative et la violation
du principe de séparation des pouvoirs
L'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 dispose : « la liberté consiste à pouvoir faire ce qui ne nuit pas à autrui ; ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi ».
L'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen énonce : « Toute société dans laquelle (...) la séparation des pouvoirs n'est pas déterminée n'a point de Constitution. »
L'article 34 de la Constitution dispose : « la loi est votée par le Parlement. La loi fixe les règles concernant... la nationalité, l'état et la capacité des personnes, les régimes matrimoniaux, les successions et libéralités, l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toute nature... La loi détermine les principes fondamentaux du régime de la propriété, des droits réels, des obligations civiles et commerciales ».
La loi sur le PACS concerne l'ensemble de ces domaines. Toutefois, ses dispositions sont souvent lacunaires et contradictoires, manifestant une carence du législateur dans la détermination des règles fondamentales de ce nouveau contrat, et rendant cette loi contraire à la Constitution. En renvoyant implicitement à l'autorité réglementaire mais surtout à l'autorité judiciaire le soin de combler les lacunes et imprécisions de cette loi relative au pacte civil de solidarité celle-ci méconnaît la compétence du législateur et le principe fondamental à valeur constitutionnelle de séparation des pouvoirs.
1. En premier lieu, l'article 1er de la loi déférée qui introduit dans le livre Ier relatif aux personnes un titre XII relatif au pacte civil de solidarité et au concubinage ne précise pas si les dispositions qui en déterminent le régime ont un caractère impératif ou facultatif, si certaines dispositions ont un caractère d'ordre public.
2. En second lieu, l'article 515-1 nouveau du code civil prévoit que le pacte civil de solidarité concerne l'organisation de la vie commune sans préciser le contenu de cette notion, notamment sur l'exigence de la communauté de vie ou de domicile commun. En outre, la loi ne précise pas quel sera le statut civil d'un signataire d'un PACS, et notamment s'il sera considéré comme célibataire. Le PACS ne détermine pas les règles applicables en matière de parentalité, et notamment de paternité en cas d'enfants. Il résulte de ces imprécisions que ni la nature, ni l'objet du PACS, ni la nature des liens pouvant unir les partenaires, ni le statut de ceux-ci n'ont été déterminés.
3. En troisième lieu, l'article 515-4 se borne à prévoir que les partenaires « s'apportent une aide mutuelle et matérielle » sans prévoir la nature ni l'étendue de celle-ci et renvoie les modalités de cette aide aux stipulations du pacte civil de solidarité. Le caractère d'ordre public de cette aide n'est pas posé, et aucun contrôle juridictionnel préalable n'est prévu sur la convention ni ses modifications permises par l'article 515-7.
4. En quatrième lieu, l'article 515-4, alinéa 2, institue une solidarité de dettes concernant la vie courante et les dépenses de logement commun, sans prévoir aucune réserve de protection d'un partenaire contre les éventuels excès de l'autre. De la même façon, l'article 515-5 institue, à défaut de stipulation conventionnelle contraire, un régime de présomption d'indivision susceptible de porter atteinte au droit de propriété et aux droits des héritiers directs.
5. En cinquième lieu, les conditions d'extinction du pacte de solidarité ne garantissent pas les droits des partenaires : en cas de mariage de l'un deux, le partenaire restant et les tiers ne seront pas avertis de la fin des obligations, notamment de la solidarité financière, l'aide matérielle.
6. En sixième lieu, la loi ne fixe aucune limite au nombre de PACS pouvant être souscrits successivement par une même personne ni aucun délai prescrit entre deux PACS ni aucune condition de durée déterminée à la signature de PACS, engendrant des risques de nombreux contentieux.
Il résulte de l'ensemble des dispositions précitées que la loi relative au pacte civil de solidarité n'a pas entendu déterminer précisément le régime légal de ce nouvel instrument juridique, dans des domaines concernant pourtant l'ordre public (nationalité, état des personnes...). Or, dans de nombreux cas, le Conseil constitutionnel a jugé que le législateur ne devait pas « abandonner au pouvoir réglementaire le champ d'application de la règle que la loi pose » (173 DC) ou ne pas avoir suffisamment précisé le sens de la règle posée (191 DC).
La loi sur le pacte civil de solidarité méconnaît donc la compétence du législateur au regard de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et de l'article 34 de la Constitution, en ne fixant aucune borne à la liberté contractuelle dans le domaine du droit des personnes et en s'abstenant de fixer les règles et de déterminer les principes fondamentaux dans l'ensemble des matières de l'article 34 précité.
En conséquence, la loi relative au pacte civil de solidarité doit être déclarée non conforme à la Constitution.
III. - L'irrecevabilité financière
La loi relative au pacte civil de solidarité est manifestement contraire à l'article 40 de la Constitution :
« Les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique. »
En effet, il n'est pas douteux que la loi entraînera, d'une part, une « diminution des ressources publiques », d'autre part, « la création ou l'aggravation d'une charge publique ». Conformément à sa jurisprudence, il appartient donc au Conseil constitutionnel de garantir le respect de l'article 40 de la Constitution, l'irrecevabilité ayant été soulevée non seulement par les motions de procédure, mais aussi au cours des débats parlementaires.
1. Diminution des ressources publiques
La loi créant le PACS provoquera une diminution des ressources de l'Etat, en raison de la minoration des droits de succession et de l'imposition commune instituée au bénéfice des signataires. Dans cette perspective, elle contenait une compensation, traditionnellement appelée « gage » dans la pratique parlementaire, représentée par une majoration à due concurrence des droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts ainsi que par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 885 U et 575 A du même code, affectée aux organismes de sécurité sociale.
Cependant, cette compensation doit être, selon une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel, réelle et suffisante. Or, ce n'est nullement le cas. Si l'on peut regretter que la commission des finances, de l'économie générale et du Plan de l'Assemblée nationale n'ait pas été saisie pour avis, la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation, saisie pour avis au Sénat, a estimé la perte de ressources publiques comme étant considérable : une évaluation fait état d'un coût de 8 milliards de francs. Cela équivaudrait à majorer, par exemple, les droits sur les tabacs de 20 %. Peut-on considérer que l'assiette fiscale envisagée par les auteurs de la proposition de loi pouvait fournir le surplus d'impôt attendu ? En réalité, il y a entre la perte de recettes et l'assiette de la mesure de compensation une disproportion flagrante. Comme le précise le rapport d'information no 1273, enregistré à l'Assemblée nationale le 25 mai 1994, même lorsqu'il n'est « pas possible d'évaluer précisément le coût de la mesure principale proposée, l'importance manifeste de celui-ci justifie l'irrecevabilité malgré la présence d'une mesure substantielle » (1990, statut de la Corse, amendement no 147).
Peu en rapport avec la perte de recettes, inévitable, le gage proposé, irréaliste et supprimé ensuite par le Gouvernement, ne permettait pas une application de l'article 40 de la Constitution conforme à sa lettre et à son esprit.
2. Création et aggravation d'une charge publique
En imposant l'enregistrement du PACS soit au greffe du tribunal d'instance soit auprès des agents diplomatiques et consulaires français, la loi contestée aggrave la charge publique, de manière certaine et directe, pesant sur les autorités responsables de cet enregistrement et de la gestion des divers droits qui s'y rattachent. Or contrairement aux ressources publiques dont la diminution peut être compensée, la compensation de la création ou de l'aggravation d'une charge publique est prohibée.
Cette interprétation de l'article 40 de la Constitution a été confirmée par le Conseil constitutionnel, notamment dans sa décision no 85-203 du 28 décembre 1985 : « Il résulte des termes mêmes de cet article qu'il fait obstacle à toute initiative se traduisant par l'aggravation d'une charge ou par une augmentation des ressources publiques. »
IV. - La rupture du principe d'égalité
L'atteinte à l'égalité fiscale
La loi sur le pacte civil de solidarité garantit aux signataires d'un PACS des avantages de même nature que ceux dont bénéficient des couples mariés. Ainsi, plus particulièrement, l'article 2 de la loi garantit aux signataires d'un PACS le bénéfice d'une imposition commune au titre de l'impôt sur le revenu des personnes physiques à compter de l'imposition des revenus de l'année du troisième anniversaire. De la même façon, l'article 3 de la loi détermine un régime successoral des signataires d'un PACS, depuis au moins deux ans, dérogatoire du régime s'appliquant aux personnes tierces et s'approchant du régime applicable aux couples mariés : taux d'imposition de 40 % pour la fraction n'excédant pas 100 000 F et taux de 50 % pour le surplus, avec un abattement de 300 000 F pour les droits de mutation à titre gratuit et un abattement de 375 000 F pour les mutations entre vifs et pour les successions ouvertes à compter du 1er janvier 2000. Enfin, l'article 4 de la loi garantit aux signataires d'un PACS le bénéfice de l'imposition commune au titre de l'impôt de solidarité sur la fortune.
Ces dispositions sont contraires au principe d'égalité, principe à valeur constitutionnelle garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. En effet, la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel affirme que « le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général » (décision no 89-254 du 4 juillet 1989). De même, dans certains cas le principe d'égalité exige un traitement différent de situations différentes (décision no 93-329 DC, 13 janvier 1994).
En l'espèce, les dispositions précitées de la loi sur le PACS entraînent une rupture d'égalité, d'une part, entre les signataires d'un PACS et les couples mariés avec enfants à charge, d'autre part, entre les signataires d'un PACS et les concubins, enfin à l'égard des personnes célibataires.
En accordant, en premier lieu, des avantages fiscaux similaires à ceux dont bénéficient les couples mariés à charge d'enfants, la loi sur le PACS ne comporte pas de garanties suffisantes pour éviter que des signataires d'un PACS puissent se trouver dans une situation plus favorable que des familles légitimes, compte tenu des charges et des contraintes spécifiques de ces dernières. Elle constitue donc une violation du principe d'égalité.
En deuxième lieu, l'article 3 de la loi définit le concubinage comme une union de fait, caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité entre deux personnes, de sexe différent ou de même sexe, qui vivent en couple. Mais la loi n'étend pas le bénéfice des articles 4, 5, 6 et suivants de la loi aux personnes en concubinage, alors même que la définition de leur statut semble plus contraignante que celle qui résulte du PACS. La loi sur le PACS institue donc une discrimination contraire au principe d'égalité entre des signataires d'un PACS et un couple concubin, dans la mesure où leurs situations peuvent être similaires, sans qu'aucun motif d'intérêt général ne puisse justifier une telle différence de traitement.
En outre, les avantages fiscaux et sociaux conférés par le PACS créent une discrimination fiscale au profit d'une catégorie au détriment d'une autre, sans qu'aucun objectif d'intérêt général ne puisse le justifier, en particulier au regard des personnes célibataires qui continueront d'être soumises aux dispositions les moins favorables du droit fiscal.
Ainsi, les articles 4, 5 et 6 de la loi doivent être déclarés non conformes à la Constitution.
L'atteinte à la dignité de la personne
Le principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine a été expressément reconnu par le Conseil constitutionnel (27 juillet 1994, Lois sur la bioéthique).
Or l'article 515-7 nouveau du code civil introduit par la loi relative au PACS est contraire à ce principe de valeur constitutionnelle. Cet article décrit les modalités de rupture du pacte civil de solidarité, qui peut avoir lieu en cas de décès de l'un des partenaires, en cas de mariage, par consentement mutuel ou sur décision unilatérale d'un des signataires.
En cas de rupture unilatérale (alinéa 2 de l'article 515-7), la loi prévoit un délai de trois mois à compter de la signification, sauf en cas de mariage, ainsi que la possibilité pour le juge de statuer sur les conséquences patrimoniales de la rupture sans préjudice de la réparation du dommage éventuellement subi. Le texte ne prévoit aucune institution équivalente de la prestation compensatoire en cas de divorce, dont l'objectif est de perpétuer l'obligation de secours et d'assistance.
Malgré ces dispositions, la rupture unilatérale s'apparente à une répudiation, contraire au principe de respect de la dignité humaine. La répudiation est en effet considérée comme contraire à l'ordre public et à l'égalité entre époux, même lorsqu'elle est prévue par la loi nationale compétente, lorsqu'elle ne comporte aucune protection de la personne répudiée et qu'elle n'a pas été contradictoirement rendue. La Cour de cassation considère en effet qu'une loi qui ne prévoit ni prestation compensatoire, ni pension alimentaire pour l'épouse, ni dommages-intérêts pour celle-ci ... doit être écartée (civ., 1, 16 juillet 1992).
La disposition prévoyant la réparation d'un préjudice éventuellement subi ne peut suffire à garantir le principe constitutionnel qui oblige l'auteur d'un dommage à le réparer (décision du 22 octobre 1982, Institutions représentatives du personnel).
Cette faculté de rupture unilatérale, qui s'apparente à une répudiation, sans protection ni secours pécuniaire pour partenaire, méconnaît le respect dû à la préservation de la dignité de la personne humaine ; elle est donc contraire à un principe fondamental reconnu par les lois de la République. Cette atteinte à la dignité est doublée d'une atteinte au principe d'égalité en cas de mariage d'une des parties pendant le délai de rupture prévu par la loi. Dans ce cas, au titre des dispositions de l'article 515-7, alinéa 3, le PACS prend immédiatement fin et toutes les obligations qu'il a générées également. La deuxième partie n'est donc pas informée que l'autre est délié de son obligation d'aide matérielle, de la solidarité financière. Cette situation apparaît contraire au principe d'égalité entre les contractants.
Enfin, les conditions dans lesquelles sont organisés l'enregistrement et la publicité du PACS portent atteinte à la vie sexuelle des individus, qui est au coeur du principe « de respect de la vie privée » que consacre l'article 9 du code civil. En effet, pour garantir les droits des tiers susceptibles d'être lésés par les dispositions d'un PACS, il sera porté à leur connaissance le sexe des partenaires dont pourra déduire une présomption d'homosexualité. Celle-ci risque d'amplifier des discriminations, préjudiciables aux intérêts des signataires.
L'article 515-7 du code civil nouveau doit en conséquence être déclaré non corforme à la Constitution.
L'atteinte au mariage civil et républicain
L'article 1er de la Constitution dispose « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ». Le principe constitutionnel de laïcité est notamment appliqué dans le domaine du mariage, puisque la loi du 27 septembre 1792 qui a confié la tenue des mariages aux officiers d'état civil a consacré le caractère laïc et égalitaire du mariage. Depuis lors, le caractère laïc du mariage n'a jamais été contesté et même affirmé par les lois successives encadrant les règles du mariage civil. Tout contrat de vie commune ne pouvait dont être signé que dans le cadre du mariage civil.
L'institution du pacte civil de solidarité vient remettre en cause cette institution républicaine et ce principe fondamental issu des lois de la République en créant, à côté du mariage civil, une nouvelle institution contractuelle de vie commune. La loi relative au pacte civil de solidarité semble donc remettre en cause les principes d'égalité et d'indivisibilité de la République, qui empêchent la constitution de communautés juridiques au sein de la nation (Conseil constitutionnel, décision du 9 mai 1991, statut de la Corse, et décision du 15 juin 1999, charte européenne des langues régionales et minoritaires).
Méconnaissant les règles égalitaires du mariage civil et républicain et instituant une nouvelle communauté de vie portant atteinte au caractère indivisible de la République et à l'unicité du peuple français, l'article 1er de la loi relative au pacte civil de solidarité doit être déclaré non conforme à la Constitution.
V. - La méconnaissance du préambule
de la Constitution de 1946
Le préambule de la Constitution de 1946, en son dixième alinéa, dispose « la nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à son développement ». La loi sur le PACS contredit en plusieurs points cette disposition de valeur constitutionnelle.
La méconnaissance du droit
à mener une vie familiale normale
En premier lieu, les dispositions de l'article 1er, notamment par l'article 515-2 qui définit les empêchements au pacte civil de solidarité, et l'article 2 de la loi concernant la définition du concubinage, institutionnalisent juridiquement des possibilités de bigamie entre des personnes en situation de concubinage et également signataires d'un PACS, alors même que le PACS est exclusif du mariage et se réfère donc à l'interdiction de polygamie posée par l'article 433-20 du code pénal.
Or, dans sa décision 93-325 DC des 12 et 13 août 1993, maîtrise de l'immigration, le Conseil constitutionnel a considéré que les dispositions du dixième alinéa du préambule de 1946 avaient pour conséquence « le droit à mener une vie familiale normale ». Dans la même décision, le Conseil constitutionnel a jugé que la polygamie était exclusive de cette notion de vie familiale normale. Ainsi, la loi sur le pacte civil de solidarité qui institutionnalise des possibilités de bigamie, de fait, doit être déclarée contraire à la Constitution.
L'atteinte à la protection de la famille et de l'enfant
Le PACS ne concernera pas que les familles. Cependant, il concernera également des couples qui prétendront fonder une famille et mener une vie familiale normale. Pour ceux-là, le PACS constituera un obstacle à leur protection et aux garanties nécessaires à leur développement.
En ne prévoyant pas suffisamment les modalités et les conséquences de la rupture, en ignorant la place éventuelle de l'enfant dans l'institution du PACS, par l'absence de précision sur les règles en matière de filiation, de présomption de paternité, d'accès à l'adoption, la loi relative au pacte civil de solidarité porte une atteinte au préambule de la Constitution, qui garantit aux familles les conditions nécessaires à leur développement ainsi qu'à l'alinéa 11 du préambule qui dispose : « la nation garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ».
VI. - Atteinte aux principes fondamentaux
du droit des contrats
Le PACS constitue un instrument juridique hybride ne satisfaisant pas aux principes fondamentaux du droit des contrats. Les conditions et les conséquences de la rupture du PACS sont, en effet, directement contraires aux principes de sécurité juridique et d'équilibre entre les contractants qui, reconnus par les lois de la République, notamment le code civil, caractérisent le régime des contrats.
D'une part, les conditions dans lesquelles il peut être mis fin au pacte, unilatéralement et sans cause particulière, ruinent la portée des principes de sécurité et d'équilibre tels que les définit l'article 1134 du code civil :
« Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
« Elles ne peuvent être révoquées que par leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise.
« Elles doivent être exécutées de bonne foi. »
La force obligatoire des contrats est donc celle qui résulte de la volonté exprimée par les parties lors de l'échange des consentements et non celle versatile, qui pourrait se manifester ultérieurement. Pour cette raison, le contrat, qui constitue « la loi » des signataires, s'impose au juge. Or, la loi relative au PACS déroge à cet impératif de stabilité : elle prévoit, en effet, une possibilité de rupture unilatérale dans des termes que certains commentateurs ont assimilé à une faculté de répudiation.
On ne saurait à cet égard invoquer légitimement le principe d'interdiction des engagements perpétuels posés par la Cour de cassation (com. 14 novembre 1989) et autorisant chaque partie à un contrat à durée indéterminée, à exécution successive, à y mettre fin. Conçu pour les contrats à titre onéreux, il ne vise d'ailleurs que ceux régis par le livre III du code civil. L'insertion du PACS dans le livre Ier devrait d'autant plus conduire à l'écarter qu'il s'agit d'un engagement dont la finalité n'est pas principalement économique.
D'autre part, l'absence de contrepartie significative pour le partenaire délaissé constitue, dans cette hypothèse, l'un des vices les plus graves du PACS. Le législateur n'a mis en place aucun mécanisme de compensation. Or, en cas de désaccord entre les cocontractants sur les conséquences de cette rupture, comment pourra être assurée la protection du plus faible ? La faculté de saisir le juge a posteriori est une bien maigre garantie. On ignore, en effet, sur quel fondement juridique il pourra se prononcer pour accorder une prestation compensatoire ou des dommages et intérêts.
On rappellera à ce propos que la Cour de cassation condamne le principe de la répudiation. Ainsi, en droit international privé, elle a déclaré contraire à l'ordre public la répudiation prévue par la loi nationale compétente (civ. 16 juillet 1992). Depuis son arrêt du 1er juin 1994, elle juge la répudiation unilatérale contraire au principe d'égalité des époux dans la formation, le fonctionnement et la dissolution du mariage contenu dans l'article 5 du protocole no 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.
La saisine du juge ne permet pas de pallier l'absence de sécurité juridique sans laquelle le contrat perd une large part de sa signification.
En conséquence, la loi relative au pacte civil de solidarité doit être déclarée non conforme à la Constitution.
Pour ces motifs et pour tout autre que les auteurs de la présente saisine se réservent d'invoquer et de développer, il est demandé au Conseil constitutionnel de déclarer non conforme à la Constitution la loi relative au pacte civil de solidarité.
(Liste des signataires : voir décision no 99-419 DC.)